(Terminé) Petites discussions fraternelles ⚝ Judith

La journée commençait à peine que déjà Judith la trouvait ennuyante à mourir. Quelle banalité humaine de se lever, prendre son déjeuner, passer par la salle de bain ! Judith était lassée de cette routine, lassée de vivre chaque jour, encore et encore, la même chose. Elle qui rêvait de grandes choses, de chasses aux démons, de sauver des innocents et d'être une sorte de super sorcière alors qu'elle n'en était même pas une tout simple. Pas même une toute petite sorcière. Elle n'était que la faible humaine de la famille Donovan, quelle rage pour elle depuis plus de trente ans désormais.

De mauvaise humeur, Judith se décida à aller rendre visite à sa petite soeur. C'était encore l'un des seuls moyens de lui redonner le sourire. Elle vivrait peut-être quelques aventures merveilleuses et magiques à travers les récits de Jem. Elle les enviait tous tellement. Elle aurait aimé être comme eux. Leur vie devait être si passionnante, pleine de rebondissements et d'aventures. Judith connaissait pourtant les mauvais côtés de cette vie : le danger, l'impossibilité presque d'avoir une vie normale et posée, le risque, les attaques... Elle avait elle-même été en danger à de nombreuses reprises, ne pouvant se défendre avec aucun pouvoir. Sauf que tout ça, elle s'en fichait. Elle, elle voulait être quelqu'un. Elle n'aimait pas la petite bibliothécaire à la vie tranquille et banale qu'elle était.

Alors, la bibliothécaire s'était rendue chez sa soeur. Elle avait sonné, plus par respect pour l'époux qu'autre chose puisqu'elle ignorait s'il était là, et avait attendu l'arrivée de la sorcière. Sans plus attendre et se faire prier, Judith entra, se retenant de se jeter sur sa soeur, uniquement pour ne pas finir ébouillantée. « Oh, non ! » Elle était déjà bien trop sur les nerfs, agacée de sa vie tranquille et de son ennui, pour en plus boire du café. « Tu n'aurais pas un bon chocolat chaud, plutôt ? » Judith en raffolait tellement. Elle aimait s'installer confortablement dans le canapé, une tasse de chocolat dans les mains pour écouter les aventures magiques de sa petite soeur. Elle avait l'impression d'être une enfant et de pouvoir rêver à cette vie si différente. « Dis moi que tu as été attaquée par au moins une horde d'affreux démons ? » Qu'elle ait quelque chose à raconter, au moins. Pas qu'elle souhaite que sa soeur se soit retrouvée en danger, ça non, mais ce n'était pas quelques démons qui lui feraient peur. « En plus, j'ai apporté les croissants ! » Si Jemima n'avait pas encore compris, il était désormais clair que judith était là pour discuter magie et démons, installées sur le canapé, comme elles le faisaient toujours.

Jemima venait de déposer son café brûlant sur la table basse pour prendre Judith dans ses bras, qui comme une enfant et comme à chaque fois, s'amusa à serrer un peu trop fort. Cette femme était pire qu'une gamine. Par la suite, Jemima proposa un café, ce que Judith refusait aussitôt, préférant, et de loin, un bon chocolat chaud. « Tu me demandes vraiment ce que je préfère ? » demanda Judith, un grand sourire aux lèvres. « La totale ! » précisa-t-elle, sans attendre de réponse de la part de sa petite soeur. Si Judith avait bien un défaut, et en réalité elle en avait tellement qu'elle ne les comptait pas, c'était la gourmandise. Il n'y avait, selon elle, rien de mieux au monde que ce chocolat gourmand à partager avec sa petite soeur. « Oh tu sais que tu es bien plus intéressante que toutes les séries Netflix que je peux regarder ? » précisa-t-elle pour s'amuser. C'était une blague récurrente pour les soeurs Donovan. Peut-être que Judith passait vraiment trop de temps à ennuyer Jemima pour qu'elle lui raconte ses aventures magiques ?

Pour appuyer ses propos et finir de convaincre sa soeur, qui n'avait, en réalité, aucunement besoin d'être convaincue, Judith avait amené des croissants et le précisa à Jem. « Je te connais si bien, tu vois quelle parfaite grande soeur je suis ! » Parfaite en ramenant des croissants pour écouter des histoires, vraiment ? Non, elle-même n'y croyait pas. Tandis que Jemima partait à la cuisine préparer les chocolat, Judith se débarrassa de son manteau et de ses bottes pour aller se glisser sous un plaid sur le canapé. Elle n'attendit même pas le retour de sa soeur avant d'entamer un premier croissant. « Vite Jemima ! » cria la jeune femme, impatiente, mais pour s'amuser surtout. « J'ai hâte d'entendre ce que tu as à me raconter ! » précisa-t-elle, toujours en criant. « Tu crois qu'un jour, tu pourrais me laisser venir avec toi ? » Sous-entendu clair, un jour où elle chasserait un démon, pouvait-elle l'accompagner. Elle préférait le demander lorsque Jemima était loin parce que c'était plus facile à assumer que lorsqu'elle était face à elle. Mais aussi et surtout parce qu'elle se doutait clairement de la réponse ! Personne ne voulait jamais l'emmener ! C'était certainement trop embêtant de la protéger tout en s'occupant d'un démon. « Pour te protéger, bien sûr ! » tient-elle à préciser, inutilement.

Il était vrai que Judith était gourmande et lui poser la question n'avait pas grand intérêt, tant la réponse était évidente. A la demande de sa petite soeur, Judith était allée s'installer sur le canapé, attrapant un plaid au passage pour se glisser dessous. Les croissants sur la table lui donnaient tellement envie qu'elle en entama même un avant même que sa soeur ne soit de retour. La gourmandise était plus forte que tout. Tout en croquant dans le croissant, Judith se mit à sourire à la réflexion de sa soeur, lui expliquant que Netflix était bien moins intéressant que les histoires vraies de sa petite soeur. « Si tu augmentes tes tarifs, je vais chez la concurrence Jem'. » s'amusa Judith. « Tu sais que j'connais suffisamment de sorciers pour ça ! » menaçait-elle pour s'amuser. Jamais elle ne se passerait de ces moments entre soeurs qu'elle affectionnait tant. « Promis, la prochaine fois, en plus des croissants, je ramène des pâtisseries ! » Judith aussi savait y faire et la gourmandise des deux soeurs n'étaient un secret pour personne.

Judith essayait de presser sa soeur, tant elle avait hâte d'entendre ces aventures. « La prochaine fois je t'appelle avant de venir pour que tu prépares tout avant. » s'amusa l'aînée, impatiente comme d'habitude. Avant qu'elle ne revienne, Judith tenta la question de l'accompagner un jour lors de l'une de ses chasses. Après tout, elle avait déjà assisté bien des fois à une lutte entre démons et sorciers, alors qu'est-ce que cela pouvait bien changer ? A la réponse de Jemima, Judith leva les yeux au ciel. « Jem, arrête de te moquer ! » protesta l'humaine, avant de reprendre. « Pourquoi personne ne veut jamais que je l'accompagne ? Je peux être utile ! » insista-t-elle. Elle détestait l'idée d'être humaine parmi une famille de sorciers, elle se sentait inutile.

La plus jeune vint alors s'installer sous le plaid, prête à raconter ces aventures magiques. Judith avait tellement hâte. Avant de l'embêter, elle but d'abord une gorgée à la paille de ce délicieux chocolat et ne put s'empêcher d'y aller de sa remarque. « Personne ne fait ça aussi bien que toi, tes chocolats sont toujours délicieux ! » et c'était vrai, il ne s'agissait pas uniquement de flatterie pour la convaincre de la laisser l'accompagner. « Alors, tu me racontes quoi d'abord ? Une attaque ? Une chasse ? » Tout à coup le visage de la bibliothécaire s'illumina, attendant patiemment les histoires magiques de Jemima.

« Tu devrais te méfier, Jem. » Judith essayait de la convaincre qu'elle pouvait bien avoir le droit à sa dose d'aventure magique auprès d'autres sorciers. Elle en connaissait peut-être beaucoup, mais personne ne lui parlait de toutes ces aventures avec autant de détails que Jemima. Elle avait rarement le droit à plus qu'une brève explication, principalement, elle le supposait, pour qu'elle leur fiche la paix. Et puis, et surtout, elle aimait bien trop ce moment partagé avec sa soeur, ce moment où elles n'étaient que toutes les deux, à discuter. Alors, non, elle ne s'en passerait pour rien au monde. Pour finir de la convaincre, Judith promit alors que la prochaine fois elle ne ramènerait pas de croissants, mais des pâtisseries. Personne ne résisterait à ça, et elle était certaine d'avoir Jemima avec cette promesse. Même si elle savait bien que Jemima plaisantait. Elle aimait entrer dans son jeu.

Trouvant le temps bien long, Judith annonça que la prochaine fois, elle préviendrait de son arrivée pour que tout soit prêt. Elle avait cette mauvaise habitude de débarquer chez tout le monde à n'importe quelle heure, convaincue que les gens étaient chez eux et n'avaient rien d'important à faire. Alors forcément, Judith l'impatiente devait souvent attendre un peu. Si elle avait prévenu de son arrivée, les chocolats auraient sans doute été prêts et Judith aurait eu le droit à ses aventures magiques presque immédiatement. Mais enfin, les chocolats et Jemima arrivèrent. La soeur s'installa et Judith l'ennuya. Elle voulait l'accompagner lors d'une chasse au démon. Elle en avait vu depuis qu'elle était jeune et puis, elle était convaincue qu'elle pouvait aider, être utile. Il fallait seulement lui laisser sa chance et lui permettre un peu d'entraînement. Sans entraînement, elle ne ferait jamais le poids face à n'importe qui, ça c'était certain. Judith soupira à la réponse de sa soeur. « Jemima, ils n'ont rien à dire, je suis adulte et capable de prendre mes propres décisions toute seule. » C'était insupportable d'être humaine dans cette famille. Ses parents craignaient pour elle, la traitant souvent comme une enfant, alors qu'elle avait passé la trentaine. « Et puis, ils ne sont pas obligés de le savoir ! » Pourquoi mettre au courant leurs parents ou leur frère ? Elles pouvaient le faire en toute discrétion, sans rien leur dire et ainsi Jem n'aurait aucun problème avec eux. « Je te jure que je ne te gênerai pas, je ne ferai rien de stupide ! »souffla-t-elle, accompagnant ses mots de son regard le plus convainquant. « apprends moi à me défendre et personne ne pourra plus rien dire ! » Conclut finalement la bibliothécaire, voulant en arriver au plus vite à la raison de sa venue.

Jemima reprit alors la parole, Judith se concentra tout à coup, prête à tout écouter. Impatiente même. Mais Jemima se coupa en plein milieu. Judith voulut attendre une seconde, au cas où sa soeur était en train de réfléchir, mais elle comprit bien vite qu'elle était en train de se moquer d'elle, tout simplement. « Jemima ! » ragea-t-elle. « Personne ne s'arrête comme ça en plein milieu d'une histoire... » C'était inhumain de la faire attendre comme ça. « Tu veux me rendre folle, c'est ça ? Tu es monstrueuse ! » exagéra-t-elle, à peine. « Tu sais bien que tout me plaît toujours... Allez, s'il te plaît ! » Supplia-t-elle, lui lançant son regard le plus suppliant, celui qu'elle utilisait sans cesse pour obtenir ce qu'elle voulait des autres.

Judith sentait que jamais elle n’aurait dû lancer cette conversation. Ce n’était pas la première fois qu’elle le faisait. Ce n’était pas la première fois qu’elle demandait à sa famille de l’emmener lors d’une chasse aux démons. Ses parents étaient catégoriques : non. Si bien qu’elle avait abandonné, depuis des années, l’idée de leur demander. Son frère ressemblait davantage à ses parents. Seule Jemima ne semblait pas complètement contre l’idée, même si elle ne voulait pas l’emmener pour autant. Elle voulait l’autorisation de leurs parents, comme si Judith n’était encore qu’une enfant qui avait besoin de l’avis de ses parents. Elle avait pourtant assisté à bien des attaques lorsqu’elle était jeune et qu’elle vivait encore chez ses parents, alors en quoi cela serait-il différent aujourd’hui ? Pourquoi ne jamais avoir voulu lui apprendre à se défendre, à maîtriser certaines techniques qu’elle pouvait connaître en tant qu’humaine ? Alors oui, elle se lassait d’entendre toujours les mêmes réponses. Elle se lassait de voir les autres décider pour elle. Elle était adulte, elle pouvait être responsable et elle avait le droit de faire ses propres choix. Sa nature humaine ne la rendait pas plus stupide ou incapable de prendre des décisions. Et même si ses décisions n’étaient sans doute pas les meilleures, il s’agissait de ses décisions à elle et elle apprendrait sans doute bien plus de ses erreurs que des interdits qu’on lui imposait.

Évidemment, Judith ne voulait pas que sa sœur ait de problèmes avec leurs parents. Elle savait à quel point leur relation était compliquée, elle savait comme les choses pouvaient dégénérer en un rien de temps. Tout ça, elle le savait et elle ne voulait pas empirer les choses, elle ne voulait pas être responsable de nouveaux reproches de la part des parents. Jemima avait fait des choix elle-aussi, des choix qui n’avaient pas plu à sa famille, mais elle les avait fait, elle les avait assumé et les parents avaient fini par les accepter, plus ou moins. Pourquoi Jemima avait le droit de faire ses propres choix quand Judith ne le pouvait pas ? Même s’il s’agissait de choix totalement différents, sans aucun rapport entre eux, Judith ne voyait que la liberté de choisir qu’elle avait eu, allant au-delà des choix, des envies et des réflexions de leurs parents. Et puis pourquoi fallait-il tout leur dire ? Pourquoi devaient-ils toujours tout savoir ? Ils étaient leurs parents, mais Jemima et Judith étaient adultes et en âge de faire ce qu’elles voulaient sans en informer leurs parents et ce, depuis longtemps.  « Je sais… Et je ne veux pas que tu aies de nouveaux problèmes avec eux. » soupira la bibliothécaire. Les parents Donovan avaient cette capacité incroyable de toujours tout savoir et c’en était agaçant la plupart du temps. Alors elle avait sans doute raison, il était idiot de croire que les deux sœurs pourraient leur cacher ça. Jemima était toujours là pour elle, alors elle ne pouvait pas lui laisser avoir des problèmes à cause d’elle.

Judith promettait pourtant d’être sérieuse, de ne rien faire de stupide ou d’irréfléchie. Elle pouvait observer de loin, sans vouloir jouer l’héroïne. Mais il était illusoire de croire que ces simples promesses suffiraient à la convaincre que les parents accepteraient sans problème. Judith écoutait chacun des mots de sa sœur, levant parfois les yeux au ciel. Elle comprenait ce qu’elle disait, elle comprenait les craintes et les raisons. Tout ça, elle le savait et elle en avait même conscience. Judith ressemblait souvent à une enfant, se fichant des responsabilités  et des dangers, mais au fond d’elle, elle savait et pouvait être responsable, elle connaissait les dangers. Elle trouvait juste ça trop ennuyeux de s’en soucier et de ne vivre que comme ça, sérieuse et responsable en toute circonstance. Ce n’était pas elle, tout simplement. Mais ça ne l’empêchait pas de comprendre. Dans un soupir, Judith reprit aussitôt que sa sœur eut terminé. « Et tu crois que je ne sais pas tout ça ? Tu crois que je ne sais pas que je peux représenter un danger pour vous parce que je suis incapable de me protéger ou de vous protéger ? » Elle avait conscience de son inutilité au sein de cette famille, elle l’avait compris depuis longtemps. Elle, il fallait la protéger, mais elle ne pouvait protéger personne, elle mettait juste les siens en danger, en leur donnant deux fois de travail. «  Bien sûr, si un jour je devais t’accompagner, et s’il devait t’arriver quelque chose, ça me détruirait et je sais que je serais responsable. Mais s’il t’arrive quelque chose alors que je ne suis pas là, je m’en voudrais tout autant de ne pas avoir été là pour te protéger comme une sœur aurait dû le faire. C’est à moi de te protéger normalement, Jem, pas le contraire. » C’était elle la plus âgée, elle qui devait préserver et protéger sa petite sœur. Judith comprenait et était même d’accord avec sa sœur. Bien sûr que si elle était présente et qu’il arrivait quelque chose à Jemima, elle se sentirait responsable et s’en voudrait, mais ce serait également le cas si elle n’était pas là pour la protéger. Alors était-ce une raison suffisante ? Judith n’en était pas convaincue. Ou alors, elle ne voulait pas l’être, parce qu’il était vrai que si Jemima perdait la vie en protégeant Judith, sa culpabilité et sa peine seraient si fortes qu’elle ne s’en reléverait sans doute pas. « pourquoi ce n’est pas à moi de choisir de quoi je veux me préserver, me protéger ? Tu trouves ça juste toi ? Vous combattez ensemble, si tu perdais notre frère ou l’un de nos parents, tu t’en voudrais tout autant que si c’était moi et pourtant vous acceptez de prendre ces risques les uns pour les autres. Vous n’imaginez pas ce que je ressens lorsque je vous vois partager quelque chose tous ensemble. Vous luttez ensemble, vous faîtes le bien ensemble. J’ai toujours été obligée de vous regarder de loin, d’accepter que je n’étais pas comme vous et que je n’aurais jamais cette chose qui vous lie tous et pour toujours, cette chose qui m’exclue et qui me rend différente. » Elle s’exprimait sans doute maladroitement, gênée d’être aussi sérieuse, elle qui était venue pour plaisanter et passer un bon moment avec sa sœur. Alors oui, elle culpabiliserait et elle serait infiniment malheureuse s’il arrivait malheur à sa sœur, mais ce serait également le cas si elle n’était pas présente. Et ce qui l’empêchait de partager ces liens forts qui les unissaient, c’était uniquement le fait d’être humaine.

Jemima reprit, découvrant son ventre et son bras lorsqu’elle eut terminé, pour appuyer ses propos. Judith n’avait jamais vu ses blessures, et elle n’aimait pas les voir. Elle avait beau aimer les moments où sa sœur lui racontait ses histoires, elle n’aimait pas la savoir en danger ou blessée. Alors elle n’aimait pas voir les blessures que les luttes avaient laissé sur son corps. « Je sais tout ça Jemima. Tu crois que la petite fille que j’étais a oublié ces longues minutes cachée dans un coin de sa chambre pendant que vous combattiez ? Tu crois que j’ai oublié comme j’avais peur pour vous et pour moi ? Tu crois que j’ai oublié comme à chaque fois l’idée de ne pas tous vous voir en redescendant me hantait ? Je sais que ce n’est pas un jeu, que ce n’est pas qu’une histoire et que pour vous c’est réel, que vous mettez vos vies en danger pour en sauver d’autres. Ce n’est pas parce que j’aime entendre vos histoires, que je semble immature ou inconsciente du danger ou que je préfère oublier les risques que vous prenez que c’est réellement le cas. Je veux juste avoir le droit de partager ça avec vous. »Parce qu’elle trouvait ça beau d’être prêt à se sacrifier pour faire le bien, parce qu’elle aimait ce lien si fort qui les unissait. Elle se justifiait, essayant d’expliquer à Jemima qu’elle n’était pas qu’une gamine inconsciente à la recherche du danger et de l’aventure, même si, oui, tout cela faisait aussi partie d’elle, mais elle avait conscience de bien plus de choses qu’elle ne laissait paraître. Elle pouvait même apprendre à se défendre et à se battre si cela pouvait les rassurer. Elle n’aimait pas être faible, elle aurait tout donné pour ne pas être elle, alors oui, elle rêvait d’autre chose, elle rêvait d’être utile, tout simplement. « Ravie de savoir que je n’ai pas besoin d’une autorisation écrite de mes parents pour tout ce que je veux faire. » préférait sourire la bibliothécaire lorsque sa sœur assura être d’accord pour lui apprendre à se défendre.
         
Et pour détendre l’atmosphère devenue peut-être un peu trop lourde, Jemima se lança dans son histoire. Judith restait impatiente, bien qu’elle n’avait plus cette même excitation qu’en arrivant. Ce que lui avait dit Jemima et ce qu’elle lui avait montré restait là, dans un coin de sa tête. Elle essayait d’être l’habituelle Judith, impatiente et chiante, faisant une remarque à sa sœur lorsque celle-ci s’arrêta en pleine histoire. Lorsque sa sœur tira la langue, Judith lui fit les gros yeux pour s’amuser à son tour, essayant de totalement se détendre. Judith ne lâchait plus sa sœur des yeux, écoutant chaque mot avec attention. Elle accompagna ses mots par les gestes, lui montrant la brûlure. Judith n’eut comme seule réaction que de tirer la langue de dégoût. Ce n’était pas rien. Celui-là ne l’avait pas loupé, mais elle savait que sa sœur allait vite guérir et qu’il ne s’agirait plus que d’un mauvais souvenir. Jem s’arrêta, laissant son histoire en attente le temps de boire un peu du chocolat chaud qu’elle avait entre les mains. Judith l’imita, patientant sagement un instant, avant de reprendre avant sa sœur : « et alors ? C’était un sorcier ou un démon ? C’était forcément l’un ou l’autre sinon tu n’aurais jamais parlé de chasse, si ? » Elle essayait de déduire les choses par elle-même puisque la suite de l’histoire se faisait attendre.

Judith était têtue et persuadée de ce qu'elle disait. Pour elle, elle n'était qu'un poids pour cette famille, un danger supplémentaire à protéger. Incapable de défendre, incapable de se défendre. Elle aurait pourtant tant aimé être capable de se débrouiller elle-aussi. Elle aurait tant aimé être capable de se défendre et de faire de grandes choses. Peut-être qu'ils n'avaient pas choisi d'être des sorciers, mais ils avaient choisi de le rester. Et puis, peut-être qu'ils mettaient leur vie en danger à chaque fois qu'ils protégeaient un innocent ou qu'ils s'attaquaient à un démon, mais la cause était si noble qu'ils en retiraient sans doute beaucoup. Ils étaient des gens bons, des gens prêts à tout pour aider les autres. Elle, elle était quoi ? Une petite emmerdeuse qui ennuyait sa famille pour rechercher l'aventure ou pour servir à quelque chose ? Même si Jemima essayait de la persuader du contraire. « Et si justement, je ne voulais pas juste être une innocente ? Si je voulais servir à quelque chose même en étant juste humaine, même sans pouvoir ? Et si moi aussi je voulais participer à cette lutte, lutter contre ce mal ? » Elle était têtue et déterminée à faire comprendre son point de vue à sa famille, peu importe qu'il soit correct ou non. Elle avait passé sa vie à assister à cette lutte, à l'observer de bien trop près pour une humaine, à envier ce bien qu'ils faisaient et qui les rendait si bons aux yeux de Judith. Malgré tout, elle comprenait aussi leur point de vue. Elle n'avait pas de pouvoirs, elle était humaine, elle était une innocente et ils l'aimaient alors ils ne voulaient pas la mettre en danger. Ça, elle en avait conscience et elle le comprenait. Maintenant, elle voulait juste aussi qu'on comprenne son point de vue à elle. Et qu'on l'accepte.

Judith ne voyait pas les choses de la même façon que Jemima. Elle était incapable de protéger sa soeur, pas comme elle aimerait en tout cas. Elle était incapable de la défendre si un jour elle se faisait attaquer, et c'était le pire aux yeux de Judith. « Pourquoi ? Parce que votre vie c'est ça Jem. Votre vie, c'est protéger les innocents, vous protéger les uns les autres. Tes collègues sont capables de te protéger aussi d'une certaine façon parce que c'est leur métier. Un métier que vous avez choisi. Vous avez choisi de vivre cette vie malgré le danger, ces humains avec qui tu travailles se mettent en danger pour sauver des vies, pour aider. Parce qu'ils ont le choix eux. Et je suis certaine que s'ils connaissaient cette facette du mal, ils lutteraient à vos côtés et vous les laisseriez faire. Alors oui, j'aimerai être capable de vous protéger de cette façon, j'aimerai être capable d'agir et de faire le bien autour de moi. » souffla la jeune femme, incapable d'exprimer clairement son ressentie parce qu'elle n'était pas toujours à l'aise avec l'idée d'avouer ses sentiments et ses craintes les plus profondes. « Et en quoi tout ça fait que je puisse vous protéger ? » demanda la bibliothécaire, parce qu'elle ne comprenait pas. Judith avait intégré depuis bien longtemps l'idée que pour protéger efficacement, il fallait avoir des pouvoirs ou une force de caractère et une volonté qu'elle n'avait pas. Selon Judith, aider les autres ou protéger Jem des problèmes avec leurs parents, ce n'était pas la protéger parce que selon elle, elle se serait débrouillée aussi bien, même sans l'intervention de Judith.

« Alors si je respecte leur choix, je dois renoncer au mien. » c'était juste une réponse logique. Elle devait renoncer à ses envies pour satisfaire les choix de ses parents. Et si ses parents acceptaient, c'était eux qui renonçaient à leur choix. Il n'y avait pas de solutions idéales à ce problème. Judith en avait conscience. « Je suis différente Jemima, quoi que tu te dises. Vos pouvoirs, ce n'est pas un simple plus dans votre vie. Vos pouvoirs, c'est vous, c'est votre personnalité, c'est qui vous êtes. » Les pouvoirs n'étaient pas un simple bonus qu'ils avaient obtenu. Ils avaient grandi avec, ils faisaient entièrement partie d'eux. « Tu aurais aimé être humaine ? Faible, sans intérêt, incapable de faire le bien comme vous en protégeant les innocents ? Tu aurais aimé être si vulnérable ? Tu aurais aimé ne pas faire tout ce bien autour de toi ? Tu te rends compte du bien que vous faîtes autour de vous ? Que chaque jour vous vous efforcez de rendre le monde plus sûr et meilleur ? Vous vous rendez compte de l'importance que vous avez dans ce monde ? Imagine ce monde sans vous ! Sans vous, le monde ne serait pas le même. Sans moi, rien ne changerait. Etre humaine, ce n'est pas juste avoir cette liberté dont tu parles... surtout en ayant conscience du monde qui nous entoure, de cette magie, de ces démons... Etre humaine dans ce monde, c'est uniquement comprendre à quel point on ne peut rien contre le mal, contre le danger qui nous entoure. C'est se sentir vulnérable en permanence. C'est comprendre à quel point nous ne ferons jamais assez par rapport à vous. Tu vis des choses extraordinaires Jem, des choses qui te rendent forte, qui te forge, des choses qui te rendent bonne, tu protèges des vies et tu sauves des innocents, tu combats le mal. En tant qu'humaine et en tant que sorcière. Tu rends le monde plus sûr alors que rien ne t'y oblige. Et moi, je fais quoi ? Je prête des livres et je rentre chez moi, seule, sans personne pour m'attendre. » Encore une fois, elle ignorait si elle s'exprimait comme il le fallait, trop perturbée à l'idée de se livrer autant. Mais elle voulait lui faire comprendre que sa vie d'humaine n'avait rien d'enviable non plus. En tout cas, pas lorsque l'on connaissait le monde de la magie. Si Judith enviait la sorcière, la sorcière enviait l'humaine. « Et tu as une liberté que je n'aurais jamais. Celle de choisir. Tu as le droit de choisir entre ta vie de sorcière et ta vie d'humaine. Tu as le droit de choisir de renoncer à tes pouvoirs, d'effacer cette partie de toi. Moi, je n'ai aucun choix. Quoi que je fasse, je resterai toujours humaine. » elle, elle était condamnée à rester humaine jusqu'à la fin de ses jours. Et Jemima, contrairement à ce qu'elle disait, elle avait ce choix. « Mais je sais que votre vie n'est pas simple, je vis avec vous depuis toujours. Je sais quel risque cela représente d'avoir des enfants, de les obliger à se cacher, à cacher qui ils sont. Je ne dis que votre vie est parfaite ou meilleure en tout point. Je sais la difficulté et le danger. Et je sais comme c'est injuste que vous n'ayez pas le droit de partager tout ce que vous faîtes, ce que vous êtes... » Elle fait une pause, repose ses yeux sur sa soeur. Peut-être qu'elles ne se comprendraient jamais sur ce point. Parce que la sorcière ne pouvait comprendre l'envie de l'humaine. Et l'humaine ne pouvait pas comprendre l'envie de la sorcière. Parce qu'elles enviaient toutes les deux la vie de l'autre, sans comprendre réellement. Elle préférait ne rien répondre au reste. Elle était humaine dans une famille de sorciers, compliqué d'imaginer qu'elle était aussi importante que tous les autres, mais elle ne voulait pas faire de mal à sa soeur en lui disant encore à quel point elle se sentait exclue parfois.

Le sujet changea alors pour laisser place aux histoires magiques que Judith était venue chercher, même si elle regrettait désormais presque de le faire. Elle se demandait si ce n'était pas égoïste finalement de faire revivre sans cesse ses attaques à sa soeur. Si elle, elle rêvait de cette vie, elle ne semblait pas satisfaire autant Jem. Alors peut-être ne devrait-elle plus autant l'ennuyer avec tout ça ? Peut-être devait-elle enfin accepter cette vie qu'elle haïssait tant pour laisser sa famille tranquille ? Là n'était pas la question pour le moment. Alors, elle essayait d'être la Judith de d'habitude, excitée à l'idée d'entendre ces histoires, impatiente et qui voulait entendre la fin trop vite, brûlant toutes les étapes. « Tu imagines mon impatience lorsque je commence un livre ? » lui répondit-elle, un sourire en coin. En effet, elle serait une très mauvaise flic, c'était certain. Son impatience lui vaudrait bien des tours. Cette impatience, c'était d'ailleurs ce qui la poussait à lire toujours très vite ses livres pour connaître très vite la fin.

Judith oubliait presque leur première conversation, s'intéressant de plus en plus lorsque sa soeur affirma que l'attaque n'était pas accidentelle. La tasse au bord des lèvres, elle ne buvait plus, les yeux grands ouverts, trop absorbée par ce qu'elle entendait. Jem n'était alors pas la cible ? Qui alors ? Et pourquoi ? Judith voulait tout savoir et maintenant. « Il aurait pu tomber sur n'importe qui, mais il est tombé sur la meilleure sorcière et la meilleure enquêtrice. » Une petite flatterie, sincère, au passage. Le pauvre, il ne savait pas sur qui il venait de tomber et il allait sans doute très vite le regretter. « Et après ? Dis-moi que tu l'as eu et qu'il a regretté de s'être trompé de cible ? » Impatiente, vraiment trop, comme toujours. « C'était un démon ? Ou non, un mauvais sorcier peut-être ? » des questions, elle en avait des tas, alors elle préférait se stopper là pour ne pas noyer sa soeur de toutes ses interrogations.

Les deux soeurs ne se comprenaient pas. Aucune n'acceptait d'entendre l'autre. De l'écouter. De la comprendre. Judith estimait qu'elle était inutile à cette famille. Si elle avait grandi dans une autre famille, au milieu d'êtres humains, sa vision serait sans doute différente. Certainement même. Elle aurait pu trouver sa place, au milieu d'une fratrie normale. Elle aurait pu même se sentir utile. Faire quelque chose de sa vie. Mais là, comment réussir à se sentir utile face à de puissants sorciers ? Comment trouver sa place au milieu de gens qui sauvaient des innocents ? Bien sûr, à son niveau, elle pouvait faire des choses, mais jamais elle ne pourrait les égaler ou les approcher. Quoi qu'elle faisait, elle avait toujours en tête ce que sa famille faisait. Ce n'était pas de la jalousie, plutôt de l'envie. De l'envie et cette incapacité à ne pas se comparer à eux et à leurs actes. Parce qu'elle en était si fière. A tel point qu'elle aurait aimé pouvoir ressembler à ses modèles qui agissaient dans l'ombre. La situation avait toujours été compliqué pour l'humaine et elle peinait toujours à faire comprendre son mal-être au reste de la famille. Parce que si elle, elle leur enviait leurs pouvoirs et leurs vies surnaturelles, eux, ils lui enviaient sa normalité et sa soi-disante tranquillité. Sauf qu'elle n'était pas tranquille, ou chanceuse, ou en sécurité. Elle était simplement une humaine au milieu d'un combat surnaturel. Elle voyait, elle savait, mais elle ne pouvait pas intervenir. Et c'était en ça qu'elle se sentait inutile. Savoir et ne pouvoir rien faire. Et pourtant, c'était cette lutte qu'elle aurait aimé mener. Cette lutte contre le mal. Judith poussa alors un long soupir, fatiguée de cette conversation qui tournait en rond. Elle qui se trouvait désormais bien égoïste à réclamer toutes ces aventures magiques à Jemima qui ne rêvait que d'une vie paisible et ennuyante.

Alors non, jamais Judith ne pourrait se convaincre d'être utile à sa famille ou d'être capable de les protéger. Qu'elle soit présente ou non, leur vie serait la même. Elle en était persuadée. La bibliothécaire était tellement admirative de sa famille, de tous ces sorciers qui oubliaient parfois leur vie pour en sauver d'autres. Elle aurait aimé être capable de grandes choses, mais elle en était incapable en tant qu'humaine. Et en tant que sorcière... Encore aurait-il fallu qu'elle ait la chance de posséder le moindre petit pouvoir. Alors, encore et encore, Judith essayait de faire comprendre son point de vue. Elle expliquait la place qu'elle jugeait avoir dans cette famille et dans le monde. Elle expliquait l'importance que certains humains pouvaient avoir face à l'insignifiance qu'elle, elle représentait. Elle partageait tout. Et Jemima ne put s'empêcher de réagir à certains mots. Non, Judith ne considérait pas tous les humains comme faibles et sans intérêts, bien qu'ils étaient sans doute généralement plus faibles qu'un être surnaturel possédant un quelconque pouvoir, mais elle, elle se considérait comme ça. Comme ce poids que la famille Donovan avait toujours dû porter et protéger. Si Judith était fascinée par la magie et son monde, elle comprenait sans difficulté pourquoi il était préférable que les humains ne connaissent rien de ce monde. Il était bien trop grand pour eux.

Judith écouta attentivement sa soeur, s'impatientant devant ses mots. Elle attendait que sa soeur termine, voulant répondre et répliquer. « Non Jemima, ce n'est pas comme ça que je considère tous les êtres humains. Je te l'ai dit moi-même, certains humains combattent à leurs façons le mal. Ils se donnent et luttent avec acharnement. Eux, ils sont utiles. Évidemment. Eux, ils n'ont pas besoin de pouvoirs pour être admirables, pour s'occuper des autres, pour avoir la force et le courage de le faire. Eux, ils ont choisi d'être ces gens biens qu'ils sont devenus. Alors non, je ne te dis pas que ces gens là sont sans intérêt ou inutiles. Malgré tout, ils restent plus faibles que n'importe quel être surnaturel ! Tu connais beaucoup d'humains capable de résister ou survivre à l'une de vos attaques, à l'un de vos pouvoirs ou de vous battre ? Nous serons toujours plus faibles, quoi que tu veuilles bien dire... » Judith soupira une nouvelle fois, préférant baisser les yeux pour continuer. La conversation prenait une tournure qui ne lui plaisait pas. Elle n'aimait pas ces conversations qu'elle pouvait avoir avec sa famille, elle préférait rester insouciante et ne pas devoir être sérieuse. Il était plus facile de cacher ses doutes et son mal-être dans cette situation. « Essaye de me comprendre Jem. Essaye de comprendre mon point de vue. Le monde dans lequel ces humains vivent ce n'est pas le seul monde qui existe. Ils font le bien dans leur monde, vous vous faîtes le bien dans ces deux mondes. La plupart du temps, ils agissent sans connaître ce deuxième monde. J'ai conscience, moi, de cet univers magique et je suis impuissante face à cet univers que je côtoie depuis toujours. Je sais ce qui se passe et je ne peux rien faire, à part vous regarder agir. Vous agissez dans un monde que vous n'avez pas choisi. Vous n'avez pas choisi cette vie, vous êtes nés avec vos pouvoirs et vous faîtes le job quand même. » soupira-t-elle, argumentant ensuite que, malgré tout, s'ils naissaient avec, ils avaient la possibilité de s'en débarrasser. Ils pouvaient brider leurs pouvoirs et mener une vie normale. Ils pouvaient supprimer cette partie d'eux lorsqu'ils le voulaient. Jemima ne semblait, encore une fois, pas d'accord avec sa soeur. Elle lui démontra alors, tant par les gestes que par la parole, à quel point les mots de Judith étaient faux. Jem utilisa alors une comparaison, cachant l'un de ses bras, pour expliquer la situation. Judith comprenait l'idée de sa soeur, mais elle n'était pas tout à fait d'accord. Encore une fois. « Peut-être que ce serait supprimer une partie de toi... mais ça reste un choix que tu peux faire. Que tu as le droit de faire. Je ne dis pas que le choix est facile, qu'il est sans conséquence, je dis juste que tu as la possibilité d'être cette sorcière sans pouvoir ou d'arrêter de lutter contre le mal. Alors que moi, jamais je n'aurais la possibilité d'obtenir ce que je désire tant. » se justifia-t-elle de nouveau. Jem avait le choix, celui de brider ses pouvoirs ou de les supprimer. Même si un choix était difficile à faire, il restait un choix. C'était simplement ce que Judith essayait de démontrer à Jemima.

Finalement, après une longue discussion, le sujet était de nouveau plus léger. Enfin, maintenant Judith se demandait vraiment si le sujet était si agréable pour Jemima. Elle ne s'était jamais vraiment plainte des demandes incessantes de sa grande soeur, mais peut-être n'appréciait-elle pas, en réalité, ces longues conversations sur les aventures magiques des Donovan ? Bref, Judith essayait de chasser toutes ces mauvaises choses de son esprit, voulant profiter un peu du moment passé entre soeurs. Alors les deux soeurs parlèrent de l'impatience de la plus âgée, incapable d'attendre deux minutes pour connaître le dénouement d'une intrigue, incapable d'avoir la patience d'attendre, comme toujours. « Je peux savourer une histoire et avoir l'impatience de la lire. » tenta-t-elle de se justifier tandis que la blonde riait et tirait la langue. Langue que Judith lui tira à son tour, la mine boudeuse pour s'amuser. Alors fidèle à sa réputation d'impatiente, Judith posa mille questions sur le comment et le pourquoi. Elle n'avait nullement la patience d'attendre et Jem mettait cette patience inexistante à rude épreuve en faisant exprès de faire de longues pauses. Enfin longues aux yeux de Judith en tout cas. Un sourire s'afficha alors lorsque la blonde affirma qu'elle l'avait eu. Forcément qu'elle l'avait eu. La plus jeune de la famille ne ratait pas souvent son coup. Elle était bien trop douée pour ça. L'histoire continua et Judith n'en ratait plus une miette. Un hybride. Encore une chose qui fascinait la bibliothécaire. Ce mélange qui donnait parfois des êtres d'une puissance rare la fascinait. Les yeux de la jeune femme brillait d'entendre les explications de sa soeur, elle s'imaginait la scène. Sa soeur était bien sûr au milieu de tout ça, héroïne et victorieuse de l'histoire, comme à chaque fois. « Pourquoi l'avoir abandonné ? Je veux dire, il était vraiment destiné à devenir mauvais ? » Bien sûr Jem n'avait pas les réponses à ses questions, mais Judith voulait son avis. La différence n'excusait pas l'abandon, si ? Judith aussi avait été abandonnée par ses parents biologiques et elle n'en avait jamais connu la raison, alors elle faisait forcément des comparaisons, même si ça n'avait rien à voir. Judith était-elle une déception pour ses parents ? Un regret ? Avait-elle été trop différente ? Ou pas assez quelque chose ? Elle s'était toujours posée ces questions, sans jamais les dire à voix haute, ne voulant pas blesser sa véritable famille, celle avec laquelle elle avait grandi. « Et tu n'as pas eu trop de mal à t'en débarrasser ? » demanda-t-elle, s'inquiétant soudainement des difficultés que pouvaient représenter un tel combat. A quel point cet hybride était-il puissant ? Comment avait-elle lutté contre lui ? Toutes ces questions dont elle attendait encore une réponse. Elle se retenait pourtant de toutes les poser à sa soeur. « Tu vois, tu as réussi à sauver une vie. Ce n'est pas le hasard s'il s'en est pris à toi. C'était pour que tu puisses l'empêcher d'attaquer et tuer sa demi-soeur. » complimenta-t-elle, ne voulant plus trop en dire pour éviter d'en revenir au sujet précédent.

Jemima semblait vouloir faire une généralité des moindres mots que Judith prononçait, ce qui avait tendance à agacer cette dernière qui jugeait qu'elle ne réussissait pas à se faire comprendre. Non, elle ne jugeait pas que chaque être humain était inutile. Jamais elle ne pourrait penser une telle chose. Mais elle, elle se sentait inutile. Elle. Juste elle. Inutile au milieu de cette famille surpuissante, à côté d'elle. Inutile à côté de ces sorciers qui trouvaient la force tous les jours de lutter contre le mal, en plus d'avoir un métier et une famille à gérer. Judith avait été obligée de grandir à côté d'enfants plus puissants qu'elle parce qu'ils possédaient une chose qui leur avait été offerte à la naissance. Et grandir à côté d'enfants destinés à faire de grandes choses, ça n'aidait pas à développer une grande confiance en ses capacités. Elle le savait, mais elle n'arrivait pas à changer ça. Elle n'arrivait pas à être quelqu'un d'autre. D'utile. De meilleur.

Les Humains étaient utiles. Certains, en tout cas. Certaines personnes étaient capables de dédier leur vie entière à faire le bien, avec ou sans pouvoir ou de lutter, à leur façon, pour que le mal n'envahisse pas le monde. Mais même ce genre de choix, Judith avait été incapable de les faire. Parce qu'elle ne pouvait s'empêcher de se comparer à son frère, à sa soeur, à certains de ses amis. A côté d'eux, elle serait toujours plus faible, moins utile. Alors à quoi bon ? Humaine, elle serait toujours moins puissante que n'importe quelle créature magique ! Et peu importe les bonnes choses qu'elle pouvait réaliser ou qu'elle aurait pu réaliser, elle était incapable d'arrêter de se comparer aux autres parce qu'elle savait les bonnes choses qu'ils faisaient. « Ce sont des exceptions Jemima ! On ne peut pas résister face à vos pouvoirs bien longtemps ! Sans parler de force mentale ou physique, utilisez vos pouvoirs contre moi ou n'importe quel être humain, laisse un démon m'attaquer et on verra si je survis malgré toute la force mentale que j'y mettrais. » Elle commençait à s'agacer, légèrement. Elle ne perdait pas son calme, mais elle n'aimait pas ce qu'elle entendait. Un humain pouvait résister à une attaque, pouvait survivre même, mais ce n'était souvent que de la chance. Un miracle. Toute la force mentale du monde ne changeait rien au fait qu'un humain restait impuissant face à une attaque démoniaque ou magique. Par conséquent, cela rendait un humain moins utile dans la lutte du bien et du mal. « Nous n'avons pas les moyens de nous défendre réellement face à vous et vos pouvoirs, et ça, ça nous rend faibles, quoi que tu dises. Et ça nous rend presque tous inutiles dans cette lutte. » insista-t-elle bien sur le presque et le cette. Certains humains se révélaient utile dans cette lutte malgré tout. Et tous les humains n'étaient pas inutiles, une fois encore, ils étaient utiles à leurs façons, dans d'autres domaines, simplement. Sauf que Judith s'en moquait complètement des autres luttes, elle, elle ne parlait que de ce combat magique. Et de rien d'autre.

« Tu es ma soeur, tu essayes de me rassurer... Voilà pourquoi tu me trouves utile ! Voilà pourquoi ton avis n'est pas objectif, puissante sorcière ou non... » Pour cette fois, être une puissante sorcière ne changeait rien. Elle restait, avant tout, la petite soeur de Judith et elle voulait simplement la rassurer comme on rassure un membre de sa famille qui en a besoin. « Parce que tu crois que c'est facile de trouver sa place au milieu d'une famille de sorcier ? De se rendre utile alors que vous vous débrouillez si bien sans moi ? » souffla-t-elle, bien plus bas que le reste de la conversation, n'assumant qu'à moitié de dévoiler ça. Trouver sa place au milieu d'une famille magique, se démarquer, trouver une place lorsque son grand frère et sa petite soeur développent leur magie et s'entraînent... ce n'était pas simple. Alors Judith avait essayé de trouver sa place d'une autre façon, essayant toujours de surprotéger bêtement sa famille, comme si elle en avait besoin. Si Judith adorait entendre les aventures magiques de sa soeur, elle avait toujours été la grande soeur chiante pour tous les aspects humains de la vie de Jemima, à toujours essayer de protéger sans juger, d'être envahissante parfois même, juste pour avoir l'impression d'exister et de jouer un rôle quelconque au sein de la famille.

Pourtant, elle aurait aimé plus. Ou autre chose, en tout cas. Judith ne voulait pas se rendre utile d'une autre façon, comme le disait si bien Jem. Elle, elle voulait et avait toujours voulu posséder une quelconque magie. Elle désirait tant pouvoir utiliser la magie, faire le bien de cette façon. Pas d'une autre. Alors oui, elle restait bloquée sur une envie qu'elle ne pourrait jamais satisfaire, mais elle n'y pouvait rien. Cette envie de pouvoirs avait toujours été plus forte qu'elle. Et jamais elle n'avait été capable de lutter contre elle. Peut-être parce qu'elle n'en avait pas vraiment envie, en réalité ?

Judith continuait d'écouter sa soeur et si elle avait pu, sans doute aurait-elle joué à la gamine vexée qui court se réfugier dans sa chambre, tant elle n'aimait pas la tournure que la conversation prenait. Parce qu'en plus de ses nombreux défauts, Judith était aussi susceptible, pour ne rien arranger. Alors après avoir déposé son chocolat chaud sur la table basse, Judith poussa un nouveau soupire. Cette conversation était sans fin, comme à chaque fois. Les deux filles restaient campées sur leurs positions et butées, elles refusaient d'admettre que l'une ou l'autre pouvait avoir raison. « Tu es injuste Jem... » souffla Judith, sans reproche, juste comme une constatation. Elle comprenait bien que sa soeur ne voulait pas la vexée, qu'elle était, comme elle, lassée de cette situation, mais Judith n'avait pu retenir ces quelques mots. « Je vous ai déjà aidé... » même si Jemima n'avait, sans doute, jamais voulu dire le contraire, mais Judith l'avait pris comme ça. Il était vrai qu'elle n'avait jamais écrit la moindre formule ou concocté la moindre potion, si ce n'était mélanger bêtement des ingrédients lorsqu'elle était une enfant à la recherche d'attention, parce qu'avec autant de sorciers, elle jugeait que personne ne la prendrait au sérieux. Mais depuis toute petite elle avait lu des dizaines et des dizaines d'ouvrages de magie, et il était déjà arrivé qu'elle partage ses connaissances pour aider. Sans doute pas assez pour que ce soit remarqué. « Vous me prendriez au sérieux si je commençais à vouloir vous rédiger une formule ou vous préparer une potion ? Vous prendriez le temps de m'écouter, de me faire confiance et de risquer de tout foirer ? » parce que ça aussi, elle en avait peur. Peur de ne pas être prise au sérieux, peur qu'on l'envoie balader parce qu'elle se mettait au milieu d'un combat qui ne la concernait pas. Peur de tout louper, tout simplement et de décevoir.

Si les deux soeurs étaient plutôt proches, il suffisait de les écouter discuter pour se rendre compte de toutes ces choses qui les séparaient. Concernant la magie, elles n'étaient pas d'accord sur beaucoup de choses. Judith restait persuadée que la magie pour eux restait un choix. Il pouvait en user ou la supprimer de leur vie. Pour elle, ce n'était pas un choix. Sans magie, elle n'avait nullement la possibilité d'en user ou non. Elle ne pouvait juste pas. Alors ce n'était pas comparable. Jem semblait avoir compris qu'elles ne se mettraient jamais d'accord, Judith se contenta de hausser les épaules pour mettre fin à cette conversation. Les deux resteraient sur leurs choix de toutes façons, alors à quoi bon continuer à discuter éternellement ? Et comme Judith avait la sale habitude de vouloir avoir le dernier mot, Jemima avait été cette fois-ci la plus raisonnable.

Finalement, Jem, comme prévu à l'origine, avait commencé à parler d'une attaque magique. Une attaque où elle avait combattu un être des ténèbres après avoir été sa cible. Judith posait donc ses questions, comme toujours. La créature avait été abandonnée, et si Judith ne devait rien partager d'autre avec l'être magique, ça elle le partageait. Elle aussi avait été abandonnée, sans en connaître les raisons. Alors elle se questionnait forcément, interrogeant Jem sur des choses qu'elle ne connaissait sans doute pas, des détails qu'elle n'avait pas dû apprendre. Aux explications de sa soeur, Judith ne répondit rien, se perdant dans ses pensées un instant. Elle avait déjà pensé de nombreuses fois à sa famille biologique, aux raisons qui avaient poussé ses parents à l'abandonner et à la réaction qu'elle aurait si elle les avait retrouvés... Judith avait eu énormément de chance de tomber sur une famille comme la sienne, une famille qui l'aimait vraiment. Ce démon n'avait sans doute pas eu cette chance et cela avait forcément dû avoir un impact sur celui qu'il était devenu. S'il avait été recueilli par une famille comme celle de Judith, peut-être aurait-il pu refouler ce côté démoniaque ? « Il est peut-être devenu comme ça parce qu'il n'a jamais trouvé quelqu'un pour l'aimer... Une famille pour l'élever... » dit-elle plus pour elle-même tant elle l'avait dit à voix basse. Elle ne pouvait s'empêcher de s'imaginer à sa place, d'imaginer ce qu'elle aurait pu devenir si elle n'avait été élevée par les Donovan.

Finalement, la bibliothécaire se reconcentra sur l'histoire, écoutant la suite et y allant de ses commentaires comme toujours. Un coup d'oeil sur la main blessée de sa soeur lui rappelait à quel point elle mettait sa vie en danger à chaque fois, et à quel point cela faisait d'elle quelqu'un d'exceptionnel. Quoi qu'elle en dise. Et Judith restait persuadée que ce n'était pas le hasard. Le destin l'avait mis sur la route de cet être maléfique pour que Jemima puisse protéger la demi-soeur. Le hasard n'avait rien à faire là-dedans. « Et alors ? Tu ne crois pas que le destin t'a mis sur sa route pour l'aider ? » se questionna la jeune femme qui restait persuadée que le destin n'y était pas pour rien dans tous ces événements. « et Gabriel dit quoi de te voir revenir blessée comme ça ? » ça n'avait plus grand chose à voir avec l'histoire, mais Judith se posait souvent la question, et posait souvent la question à sa soeur. Elle n'aimerait pas que la personne qui partage sa vie lui revienne sans cesse en mauvaise état. Elle savait ce que c'était de s'inquiéter pour ses proches et ce n'était jamais une chose facile à supporter. Peut-être préférerait-il une vie posée, plus tranquille, sans attaque, ni démon... Ce n'était jamais facile de faire partie de la vie de quelqu'un qui possédait des pouvoirs.

S'il ne s'agissait pas de Jemima en face d'elle, Judith aurait sans doute déjà crié ou haussé le ton. Peut-être même serait-elle devenue plus désagréable encore. Elle n'aimait pas avoir tort, même si là elle jugeait ne pas avoir tort de toute façon, et surtout elle n'aimait pas que quelqu'un d'autre ait le dernier mot. Il était toujours pour elle. Et elle pouvait continuer des heures jusqu'à lasser l'autre personne pour l'obtenir ce dernier mot. C'était peut-être ça son super pouvoir à elle, être si chiante et obstinée. Sauf qu'elle avait sa soeur face à elle et que Jemima était une très bonne adversaire. Aussi têtue et obstinée. Si elles ne partageaient pas le même sang, elles partageaient bien le même caractère, aucun doute là-dessus. A la réflexion de sa soeur, Judith leva une nouvelle fois les yeux au ciel. Leur petit jeu allait durer vraiment très longtemps. « Je n'ai jamais dit que les pouvoirs faisaient tout ! Ne déforme pas mes paroles Jemima, mais les pouvoirs font beaucoup ! Il te restera toujours l'expérience et l'intelligence. Tes pouvoirs ne font pas tout, mais même sans eux, tu restes une sorcière avec de l'expérience. Et puis, c'est stupide parce que tu te mets dans une situation où tu n'as pas de pouvoirs, et donc dans laquelle je peux me retrouver ici et c'est bien la preuve que sans pouvoir, aucune chance. » Même sans pouvoir, Jem trouverait une parade. Parce qu'elle avait de l'entraînement. Parce qu'elle pouvait réagir vite. Judith avait l'impression de se contredire elle-même, mais elle ne réfléchissait plus très logiquement lorsqu'elle était agacée. Elle n'y pouvait rien.

Judith regrettait d'être passée ce jour-là. Ça l'apprendra elle et ses envies d'histoires magiques. La prochaine fois, elle se contenterait d'un bon livre pour rêver et imaginer. Au moins, avec un livre, elle ne pouvait pas se prendre la tête. « Je trouve ça fou de devoir vous prouver quelque chose, de devoir le mériter juste parce que je ne suis pas comme vous... Vos pouvoirs, vous les avez eu sans devoir prouver quoi que ce soit... Alors de quel droit vous me demandez de vous prouver quelque chose ? Mais ne t'en fais pas, je trouverai un autre moyen que vous, que vous n'ayez pas besoin de m'offrir ce précieux privilège... » Elle n'en pouvait plus de réclamer ainsi, de se justifier ou de devoir mériter quelque chose. Elle voulait y aller. Point. Il n'y avait rien d'autre à dire et à aucun moment ils ne devraient avoir le choix pour elle. C'était sa vie. Elle prenait les décisions et les risques qu'elle voulait. Ils n'avaient pas besoin d'elle ? Très bien ! Elle n'aurait pas besoin d'eux ! Et puis, surtout, cette simple idée convaincrait peut-être Jemima. Si Judith menaçait d'aller sur le terrain avec n'importe qui, cela lui ferait peut-être suffisamment peur ? Peur qu'elle se mette en danger avec une personne qui n'était pas de confiance ? Elle utilisait le chantage et la menace, à peine dissimulée, mais elle s'en moquait bien désormais.

Elle avait déjà aidé, bien sûr, à si petite échelle que ça n'avait sans doute pas servi à grand chose. Et puis, surtout, ce n'était pas cette aide là qu'elle voulait fournir. « Je ne suis pas utile comme j'aimerai l'être ! Ce que je fais, n'importe qui peut le faire ! » Elle voulait être quelqu'un, quelqu'un que tout le monde ne pouvait pas être. Elle voulait avoir de l'importance aux yeux de sa famille, une utilité, une vraie. Elle voulait être un soutien dans ce combat, une aide indispensable parce qu'elle voulait avoir une vraie place dans la famille. Parce qu'elle les enviait bien trop et qu'elle n'en pouvait plus de vivre ça à distance, par procuration uniquement. De se sentir si peu utile dans une lutte si essentielle. Et peu importe si Jemima la jugeait de vouloir quelque chose qu'elle n'avait pas. Elle en avait parfaitement le droit. Judith avait le droit d'envier sa famille, de rêver être quelqu'un d'autre. « Si vous vous plantez, vous pouvez rebondir ! Si je me plante... Je fais quoi ? Je vous regarde mourir parce que j'ai été stupide ? Si je fais une bêtise, c'est vous qui en payez le prix ! Tu parlais de culpabilités tout à l'heure, tu l'imagines un peu celle-là ? Si je me plante, je ne peux pas rattraper le coup... » C'était prendre une grande responsabilité. Eux ils la prenaient pour eux-mêmes, c'était différent. Alors non, elle était persuadée qu'ils ne l'auraient jamais écouté, pas s'ils étaient prudents et qu'ils pensaient à se protéger.

La discussion tendue se stoppa là, laissant place à l'histoire de Jemima. A la seule histoire qu'il y aurait dû avoir aujourd'hui, en réalité. L'atmosphère s'était détendue presque instantanément, l'avantage d'être en famille et d'être habituée à se disputer depuis toujours. On savait redescendre aussi vite du moment où rien de trop fâcheux n'avait été dit. Bien que, malgré ce qu'elle montrait, Judith restait blessée par tout ce qui avait été dit. Et en colère, aussi. Un tout petit peu. Judith posait énormément de questions, comme toujours. Et elle avait toujours ces questions auxquelles il n'y avait pas réellement de réponses. D'autant plus cette fois-ci que l'histoire la touchait particulièrement. Les justifications de sa soeur lui paraissait justes. Possibles en tout cas. Alors Judith haussa la tête de haut en bas, en ajoutant juste un : « Tu as sans doute raison... » Il fallait être capable d'être aimée. Et ce n'était pas toujours simple d'accepter l'amour de quelqu'un, sans doute plus encore avec un côté maléfique en soi. Alors, c'était possible.

Judith préférait finalement vanter les mérites de sa soeur, assurer que tout n'était pas un hasard. Il n'était pas tombé sur n'importe qui, il était tombé sur Jemima. Une sorcière qui savait ce qu'elle faisait. Une sorcière qui avait été capable de le tuer. Forcément la réponse de la sorcière était d'un ennui. Toujours trop réaliste. Pourquoi Judith ne pouvait pas avoir raison pour une fois ? « Tu es tellement ennuyante parfois Jemima quand tu veux avoir raison ! » préféra-t-elle s'amuser, en souriant.

Et elle changea ensuite de sujet de conversation. Elle en venait à parler de Gabriel. L'autre humain de la famille qui devait aussi supporter de voir les siens se mettre en danger aussi souvent. Judith savait que ce n'était pas simple et quelle angoisse cela pouvait provoquer. « J'avais oublié... » parce que cette confidence, elle y avait déjà eu le droit, il y a longtemps et elles n'en avaient jamais reparlé jusqu'à présent. « Il est comme moi alors... » souffla-t-elle, se demandant s'il réagissait comme elle et se ravisant aussitôt. Gabriel semblait bien plus sage qu'elle et ne devait pas être aussi têtu. « Et ça ne lui fait rien de te voir utiliser la magie quand lui n'a pas eu la chance d'hériter des dons de sa famille ? » Elle ne voulait pas relancer un nouveau débat, elle s'intéressait juste un peu à la vie de sa soeur et elle n'y pouvait rien si le sujet rappelait étrangement ce qui préoccupait tant, pour ne pas dire obsédait, Judith.