Juin 1996Dans l'obscurité de la nuit, une sorcière usa d'un charme afin de rester à l'abris des regards. Personne ne la vit entrer dans l’hôpital et encore moins s'échapper de la maternité aussi vite qu'elle s'en était faufilée. Mais la preuve de son passage était bien là. Enroulé dans un drap, le nourrisson commençait à remuer. Il ne sentait plus l'odeur de sa mère qui le serrait contre sa poitrine, il n'entendait plus les battements rassurant de son coeur tout près de son oreille. Désormais, il n'y avait que le parfum stérile d'un lieu inconnu.
Sans réellement comprendre ce qui venait d'être commis, l'enfant savait. Aussi tranchant que le verre, le lien qui l'unissait à sa mère s'était rompu à jamais. Le visage rougit de larmes, les sanglots alertèrent des sages-femmes à proximité. Au centre de la pièce, une couverture brodée jurait au milieu d'un berceau. C'était l'évidence même. On venait d'abandonner l'enfant. De t'abandonner toi, Aspen.
Octobre 1999Après des années de tentatives infructueuses, Mike et Miranda commençaient à baisser les bras. Le couple désirait avoir un enfant, sincèrement. Pourtant rien n'y faisait, la nature semblait s'y refuser. Et s'ils n'étaient pas fait pour assumer un tel rôle ?
Lorsqu'un jour, l'espoir d'être parent revint illuminer le foyer. La chance de leur vie, avaient-ils songé. Une bénédiction pour eux, eux qui étaient si croyant en un Dieu bon et juste. Que le divin pardonne leurs péchés. Ô pauvres miséricordieux, s'ils avaient su...
C'était une journée pluvieuse et triste. L'orage semblait ronronner au dessus de leurs têtes et pourtant, rien ne les aurait détourné de l'objectif qu'ils avaient si ardemment souhaité.
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Signez ici, s'il vous plait. Et là aussi. Voilà, Aspen est légalement votre fille à présent. Félicitation monsieur et madame Jones, complimenta l'avocate.
Du haut de tes trois ans, l'adoption n'avait pas grand sens pour toi. Tout ce que tu voulais était de rester avec ces gens qui te chouchoutaient depuis des semaines. Être ballotter de famille en famille d'accueil, devoir systématiquement quitter des personnes auxquelles on se réfère et s'attache devenait difficile. Enfin, le calvaire prenait fin. Du moins, il ne faisait que laisser la place à un autre...
Mai 2002Ta sixième bougie, tu l'eus soufflé bientôt. Tu en étais ravie.
Cependant, tu ignorais encore que le destin t'offrirait un présent dont tu ne pourrais pas te défaire. Un don inné qui changerait ta vie à jamais.
Miranda t'avais prévenu, pas touche à la maison de poupée. Mike l'avait réalisé pour toi, et tu n'aurais le droit d'y jouer seulement le jour de ta fête. Mais t'étais incapable d'attendre. Quinze jours c'était beaucoup trop long, toi qui te consumais d'impatience. Enfant terrible.
Ta mère l'avait soigneusement emballé et rangé avec précaution au dessus de l'armoire où tu n'avais, bien sur, pas accès. De toute façon, la maison en bois était bien trop encombrante pour tes petits bras. Tu ne serais jamais parvenue à la soulever. Mais quelle importance ? Tu n'étais pas comme les autres, et tu la voulais cette maison. Oh ça oui, t'en avais envie.
Alors tu prononças les mots magiques. Littéralement.
Elle qui ne jurait jamais, tu l'avais cloué sur place. Elle s'était figée comme de la roche. Ses gros yeux vitreux te toisaient, emplis de peur et de dégoût. Mais qu'avais-tu fais, misérable gamine ?
Ces halos crépusculaires t'avaient paru si familier qu'ils ne t'avaient pas inquiété outre mesure. Et quand ils s'étaient dissipés pour laisser place à ton cadeau, tu n'y avait même plus songé! Ta mère adoptive en revanche, elle n'avait d'yeux que pour ça et en tremblait encore. <<
Mike... Mike! >>balbutia t-elle à l'aide. Ce dernier qui n'avait rien manquer de la scène, ne pu poser qu'une main crispée sur l'épaule de sa femme. Son regard était devenu différent. Le regard qu'il posait sur toi, Aspen, avait changé.
Dès lors, l'ambiance à la maison était devenue bizarre. Tendue. Le reste de la journée s'était déroulée de manière étrange et un silence de mort régnait entre les murs. Même l'heure du couché t'avais paru suspect, en particulier le baiser hésitant qu'avait déposé maman sur ton front. Cette nuit là encore, t'avais senti quelque chose se briser en toi, en eux. Une confiance, un amour.
Juin 2002La première claque.
La paume de sa main qui s'abattit contre ta pommette. Les doigts qui s'écrasèrent contre ta peau. La douleur qui embrasa ta joue dans la seconde. Tu ne l'avais pas vu venir, mais impossible d'ignorer la morsure qu'elle laissa derrière elle. Tu n'étais pas prête à ce que Miranda te gifle. Oh ça non. Encore moins avec autant de véhémence qu'elle l'eut fait.
Les yeux humides, tu tenais son regard sans ciller, emplit de rage et de questionnement. Comment avait-elle pu oser lever la main sur toi, elle qui avait toujours été si douce. <<
Oh ma chérie, pardonne moi.>> s'excusa t-elle aussitôt en découvrant la boursouflure d'un rouge vif. <<
Mais il ne faut plus jamais recommencer, tu entends?! Jamais! Ce que tu fais avec ton esprit, cette capacité... c'est un péché grave. C'est l'oeuvre du malin, une damnation.>> reprit-elle, saisissant l'enfant par les bras telle une mise en garde. T'avais acquiescé comme la bonne petite chrétienne qu'on t'avait appris à être. Obéissante. Discipliné. Sauf que dans le fond, t'étais pas convaincue. Tu voulais seulement lui faire plaisir et surtout, ne plus recevoir une baffe aussi féroce. Déplacer des objets par ta simple volonté, c'était bien trop beau pour laisser tomber.
Janvier 2010T'avais treize ans, et cela faisait déjà bien longtemps que t'avais perdu la foi. A quoi bon croire en un dieu tout puissant, en un être si parfait, s'il n'avait cessé d'être absent lorsque tu avais besoin de lui. T'avais beau prier, le supplier dans ta misère, personne ne t'avait jamais aidé. Personne ne serait jamais là pour toi, Aspen, fallait-en faire une raison.
Tu ne pourrais plus dire quand exactement, mais t'étais rapidement passée de l'enfant désirée au monstre. Tes parents avaient peur de toi, persuadée que tu étais leur châtiment divin. La tribulation qui empoisonnait leurs vies.
Et pourtant, combien de fois t'avait-on forcé au bain glacé pour expier tes péchés ? Privé de nourriture pour purifier ton corps de cet esprit du mal ? Enfermé des jours durant pour réfléchir à tes talents infâmes ? Et chacune des raclées que Mike t'infligeait, jour après jour. Les marques sur ton corps pour témoin.
Malgré les injures et les coups à la volée, tu n'avais jamais plié face à ce père pour qui tu n'étais que déception et regret. Au fil des années il était devenu amer, s'enivrant chaque soir un peu plus que la veille. Miranda avait fini par le craindre lui aussi, mais jamais autant que toi. Elle restait toujours aveugle lorsqu'il s'emportait après toi. Tu le méritais bien, toi, le monstre qui avait pris la place de leur fille chérie, croyaient-ils.
Puis vint cette nuit d'hiver. Mike t'avais envoyé dans cette cellule qui te servait de chambre autrefois. Il était malin le bougre, il avait retirer la clef après avoir verrouillé le loquet. Il avait compris que s'il ne la gardait pas près de lui, tu n'avais qu'à murmurer pour que l'objet apparaisse au creux de ta main. S'il y avait bien quelque chose dont ni toi, ni lui, n'avait imaginé c'était bel et bien l'émergence d'un nouveau pouvoir. L'éclipse.
Il n'en fallut pas davantage pour que l'oiseau sorte aussitôt de sa cage.
Août 2010Débrouillarde, t'avais l'habitude de ne compter que sur toi même. Ton chez toi n'en était plus vraiment un, tu passais le plus clair de ton temps à fuir cette baraque. De toute manière t'étais pas là bienvenue. Cela faisait plusieurs années que tu ne dépendais plus des Jones, et plus encore que tu n'étais plus rien à leurs yeux.
Tu n'avais jamais autant fugué que durant ces derniers mois. Le pouvoir d'éclipse fut ton échappatoire, le début d'une vie comme bon te semble. De ta vie à toi, Aspen.
Cela avait été compliqué à gérer au début. Tu ne comprenais pas bien comment utiliser ce don, t'envolant un peu au hasard et uniquement dans des lieux que tu avais à porté de vue. Puis dans n'importe quel endroit que tu avais déjà visité. C'était devenu ton mode de déplacement, tu pouvais aller là ou tu voulais. Persévérante, t'avais fini par dégoter un petit job auprès du vieux Boris. Il était gérant d'une épicerie un peu miteuse. Il n'avait besoin de personne dans sa boutique, mais il t'avais pris en pitié. Tu gagnais ta croûte avec quelques pièces, et tu créchais dans la réserve à la nuit tombée. T'étais toujours mieux là que chez Mike et Miranda.
Mars 2014Dès que t'eus seize ans, tu pouvais désormais jouer la carte de l'adolescente émancipée. C'était facile, les Jones faisaient comme si leur fille unique était morte depuis longtemps.
T'avais toujours fait en sorte que personne ne découvre ta magie depuis l'épisode de tes parents adoptifs. Rester cacher pour mieux vivre en paix. Qu'ils étaient purs produits des Enfers ou non, ces pouvoirs étaient tiens et tu les avais toujours considéré comme une extension de toi même. Jusqu'au festival de printemps qui se tenait dans ta ville. Les clients allaient bon train, trop sans doute car vous étiez débordé au magasin. Et à force de jongler entre les rayons, la caisse et la réserve, t'avais virer double. Boris manqua un hoquet de stupeur, il croyait voir flou le pauvre. Seulement t'étais bien là, en chair et en os à deux endroits à la fois. Une réplique exacte de toi, Aspen, servant les clients alors que tu remplissais les frigos au fond de la boutique.
Toutefois, il n'avait pas sembler particulièrement perturbé. Pas autant que toi, en tout cas. L'ancien affrontait bien mieux la situation que toi, à première vue. Et ce fut à cet instant précis qu'il t'annonça la plus grosse révélation de ta vie. Une véritable bombe qui remit en question tout ce que tu pensais savoir. <<
C'fréquent ça, chez les sorcières.>> t'avait-il balancer à propos de ton nouveau pouvoir d'ubiquité. Il avait sorti ça comme si c'était l'évidence même.
Une sorcière ? Toi ? C'était bien la première fois que t'en entendais parler! Voilà qui expliquait bien des choses...
Et puis la seule figure paternel que tu n'avais jamais eu, t'abandonna à son tour. L'ancêtre avait fini par claquer, te laissant seule. Vous vous étiez pourtant bien trouvé, lui l'vieux grincheux solitaire et toi, aussi agréable qu'une teigne. Il prenait soin de toi malgré tes crises d'adolescentes tourmentés, et tu lui tenais compagnie, à cet ermite asocial.
Mais c'était plus fort que toi, tu te sentais responsable. C'était par ta faute si Boris n'était plus là. Mike avait sans doute raison, tu n'étais qu'un poison. Si l'épicier n'avait pas croisé ta route, peut être serait-il toujours en vie, à pester dans sa barbe grisonnante.
Aujourd'hui encore tu t'en voulais. C'était un vendredi soir, tout ce que tu désirais c'était de te barrer à la fête. Alors t'avais fait ton emmerdeuse, comme à chaque fois. Et l'vieil ours avait fini par céder alors que c'était à ton tour de faire la fermeture. T'eus à peine le temps de préparer ton sac dans l'arrière boutique, quand la porte vitrée du magasin vint s'éclater contre le mur et se fracasser en un millier d'éclats.
Tout ce que t'entendais était ce bruit strident du verre qui explose, un vacarme si familier qu'il t'avait aussitôt tétanisé. Il n'y avait plus que ce tumulte cristallin qui résonnait en toi tel chaque bouteilles d'alcool que Mike réduisait en miette juste avant de te rouer de coups. Les jambes aussi lourdes que du béton, t'étais incapable de décamper de cette foutue place où tu t'enlisais de plus en plus. La raison te hurlait de te bouger et d'aller voir ce qu'il se passait à l'avant. L'agitation houleuse semblait se dégrader de minutes en minutes. Le pire était entrain de se produire. Boris n'était qu'un pauvre vieux sans défense! Et toi, tu te terrais comme un rat. Si tu avais pu, sans doute aurais-tu crier ta rage à t'en faire cracher les poumons. Mais même ça, t'en étais incapable. T'étais juste là, à trembler comme une feuille, la respiration saccadée.
Une lâche, voilà ce que t'étais en vérité.
Juillet 2014 - Présent Après l'accident à l'épicerie, tu n'avais pas tarder à plier bagage et à quitter cette ville qui t'en avais fait tant baver. Ça serait cool d'aller voir du pays, avais-tu pensé. Effectivement, nul par ailleurs ne pouvait être pire qu'ici.
Sans rien prévoir, le vent t’amena tout droit à San Francisco, en Californie. Pour changer de décor, te voilà servie. T'ignorais simplement que ce vent léger et tiède qui t'avait poussé à franchir les terres de la côte ouest, avait un goût de magie. Un coup de pousse du destin qui t'offrirait peut être ce que tu cherchais à découvrir; qui étais-tu, Aspen?